Innover contre les cancers du cerveau : des thérapies efficaces pour une meilleure qualité de vie

Chaque année, au mois de mars, la Société Française des Neurosciences coordonne la Semaine du Cerveau en France. Cet événement international, organisé dans une centaine de pays, vise à sensibiliser le grand public à l’importance de la recherche sur le cerveau. Il offre aux chercheurs et chercheuses l’opportunité de partager leurs avancées en neurosciences et d’expliquer leurs implications pour la société. La deuxième semaine de mars est aussi la semaine de lutte contre le cancer. Deux évènements en santé qui ont lieu conjointement et qui nous donnent l’occasion de mettre la lumière sur les tumeurs du cerveau chez l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte, deuxième forme de cancer la plus fréquente chez les enfants et particulièrement difficile à soigner.

Imagine for Margo, au coeur de l’innovation pour lutter contre les cancers du cerveau

Depuis 2011, Imagine for Margo combat avec force les cancers cérébraux pédiatriques, première cause de mortalité par cancer chez les enfants et adolescents.

Les formes à haut risque, d’origine embryonnaire, sont souvent particulièrement invasives et difficiles à traiter, rendant les rechutes trop souvent fatales. Nous considérons, chez Imagine for Margo, que le développement de thérapies efficaces pour ces maladies est une priorité absolue. C’est pourquoi nous avons investi 7,2 millions d’euros dans la recherche sur ces cancers agressifs, qui permettent ainsi à près de 1 600 enfants d’accéder à des traitements innovants en recherche clinique.

Mais si le cerveau est un organe vital, il est aussi extrêmement fragile. L’agressivité des traitements actuels entraîne encore trop souvent des séquelles lourdes qui altèrent la qualité de vie des jeunes patients. En 2024, le consortium européen FIGHT KIDS CANCER, dont nous sommes à l’initiative, a fait des cancers cérébraux pédiatriques la priorité de son appel à projets annuel. À l’issue d’un processus de sélection, mené par des experts internationaux, 8 projets de recherche ont été retenus pour leur excellence, leur caractère innovant et leur impact sur les patients, pour un financement global de 10,7 millions d’euros. Parmi eux, nous sommes fiers de soutenir REVIIH-BT, un programme de téléréhabilitation audiovisuelle visant à corriger les déficits visuels provoqués par les tumeurs cérébrales et les traitements, notamment la radiothérapie. La téléréhabilitation, une stratégie innovante, utilise les nouvelles technologies afin d’améliorer la qualité de vie des patients.

Rétablir la vision des enfants et adolescents, soignés pour une tumeur au cerveau, grâce aux nouvelles technologies

À l’occasion de la Semaine de lutte contre le cancer et la semaine du Cerveau, nous avons rencontré le Dr Michael Reber, chercheur en neurosciences (INSERM, Université de Strasbourg), et la Pr Natacha Entz-Werlé, oncologue pédiatre (Hôpitaux Universitaires de Strasbourg et présidente de EN-HOPE SMART4CBT, le PEDIACRIEX de la région Nord-Est), pour en savoir plus sur ce programme prometteur.

Quelles sont les séquelles les plus fréquentes chez les enfants, adolescents et jeunes adultes atteints d’une tumeur au cerveau ?

Pr Natacha Entz-Werlé : Les séquelles les plus fréquentes concernent principalement les difficultés de concentration et d’apprentissage. Bien entendu, on observe aussi des déficits visuels importants, d’autant plus qu’un certain nombre de ces tumeurs sont des gliomes des voies optiques. Par ailleurs, un peu plus d’un tiers des patients que nous suivons présentent une tumeur de la fosse postérieure, ce qui peut entraîner une hypertension intracrânienne et affecter la marche, le sommeil et l’équilibre. Bien sûr, ces maladies sont complexes, et ces troubles se combinent souvent chez un même patient. Cependant, je dirais que la séquelle la plus fréquente reste la déficience visuelle, qu’il s’agisse d’un strabisme, d’une baisse de l’acuité ou d’une anomalie du champ visuel. Justement, le projet que nous menons vise à proposer aux patients une prise en charge en réhabilitation visuelle, développée par Michael et le Dr Éric Bouffet, qui avaient initié cette démarche au Canada.

Pouvez-vous nous décrire précisément à quel point les déficits visuels affectent la qualité de vie des patients ?

Pr Natacha Entz-Werlé : Dans ma clinique, je suis des enfants et des adolescents touchés par des troubles visuels, et cela complique énormément leur quotidien.

En fonction de la sévérité de la malvoyance et des atteintes du champ visuel, l’impact sur la qualité de vie peut varier. Néanmoins, presque tous mes patients souffrent d’une fatigabilité très importante, qui vient s’ajouter aux troubles de la concentration. Lorsqu’on voit normalement, je pense qu’on ne réalise pas à quel point la vision est essentielle dans notre quotidien, notamment pour des gestes simples comme couper ses aliments, lire ou écrire.

Ce qui m’impressionne toujours chez ces jeunes, c’est leur incroyable capacité à s’adapter et à trouver des moyens de compensation pour continuer à vivre aussi normalement que possible. J’accompagne des enfants avec une malvoyance sévère qui se débrouillent de manière remarquable, en s’appropriant des outils comme les téléphones ou l’informatique. Certains compensent avec d’autres sens : j’ai plusieurs patients qui ont perdu totalement la vue et qui transforment leur quotidien en une véritable exploration du toucher et de l’audition. C’est assez fascinant !

Cela montre bien l’importance des approches de réhabilitation visuelle. Au-delà de l’amélioration de l’acuité visuelle, elles pourraient aussi renforcer leur capacité de concentration et réduire leur fatigabilité, ce qui aurait un impact direct sur leur qualité de vie.

Votre projet parle d’hémianopsie. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est et pourquoi pensez-vous que cela pourrait être réversible ?

Dr Michael Reber : L’hémianopsie, par définition, est une perte de la vision consciente dans un hémi-champ visuel, c’est-à-dire la moitié du champ de vision, à gauche ou à droite. Cela est dû à une atteinte de la région du cerveau qui traite l’information visuelle, située à l’arrière, qu’on appelle le cortex visuel primaire. Chez les patients atteints d’un cancer au cerveau, cette structure ne fonctionne plus parce qu’elle est envahie par des cellules tumorales ou parce que la tumeur est localisée sur le trajet des connexions qui transmettent l’information entre l’œil et cette structure. Dans tous les cas, cette région du cerveau ne reçoit plus d’informations visuelles ou ne peut plus les analyser. Ainsi, les enfants perdent ce qu’on appelle la vision consciente, ce qui signifie que soit leur champ visuel gauche, soit leur champ visuel droit disparaît. Comme l’a souligné Natacha, cela pose de gros problèmes dans la vie quotidienne, notamment en termes de mobilité et d’indépendance. Typiquement, ces patients évitent les environnements inconnus ou très denses, comme un centre commercial bondé le week-end.

L’hémianopsie est également présente dans d’autres pathologies, comme après un accident vasculaire cérébral (AVC). Dans ces cas-là, elle est souvent transitoire, ce qui nous a amenés à penser qu’elle pourrait potentiellement être réversible. Lorsque nous avons publié notre étude pilote avec le Dr Éric Bouffet, nous avions inclus des enfants présentant une hémianopsie stable depuis au moins 18 mois. Or, on sait que, passé 12 mois, une récupération spontanée est très rare, à moins d’une prise en charge spécifique.

C’est dans cette optique que nous avons testé notre programme de stimulation audiovisuelle, qui combine la vision et l’audition.

Comme l’a mentionné Natacha, lorsqu’on perd la vision, on compense souvent avec les autres sens, notamment pour appréhender l’espace autour de nous. Par ailleurs, des chercheurs ont découvert que les personnes atteintes d’hémianopsie perdaient également en partie la capacité de localiser un son dans l’espace, en particulier dans leur zone aveugle. Cela s’explique par le fait que, dans notre cerveau, certaines zones intègrent simultanément l’espace sonore et l’espace visuel pour améliorer la perception.

L’idée derrière notre stimulation audiovisuelle est donc de combiner le son et l’image pour améliorer la perception spatiale. J’aime bien donner l’exemple du moustique en été, dans l’obscurité. Vous êtes allongé dans votre lit, vous l’entendez s’approcher, s’éloigner, revenir… Mais impossible de l’écraser sans allumer la lumière !

Notre approche repose sur ce principe : en associant un son à une image en mouvement, nous permettons aux patients d’améliorer leur performance visuelle en effectuant des exercices où ils doivent suivre plus efficacement une cible, qui émet un son en fonction de sa position dans l’espace.

Exemple de test réalisé en réalité virtuelle où l’enfant suit une cible en mouvement, qui émet des sons différents en fonction de ses déplacements.

Comment avez-vous conçu un test aussi élaboré ?

Dr Michael Reber : Le concept existe depuis les années 1980 et a été développé par un laboratoire aux États-Unis afin d’étudier l’attention spatiale chez l’homme. Il s’agissait d’un test où l’on doit être capable de suivre une cible noyée parmi des distracteurs visuels, le tout en mouvement dans l’espace. On peut suivre la cible en bougeant les yeux ou en gardant un point fixe devant soi tout en déployant son attention visuelle. À l’époque, c’était uniquement visuel. Entre-temps, il y a eu de nombreux travaux dans les années 1990, notamment sur ce qu’on appelle l’intégration multisensorielle. Nous nous sommes alors dit qu’il fallait ajouter du son au déplacement de la cible, et c’est ce que nous avons récemment publié. À titre de comparaison, les systèmes de réhabilitation basés uniquement sur la stimulation visuelle prennent beaucoup plus de temps et sont beaucoup moins efficaces.

On me demande souvent pourquoi ce dispositif audiovisuel fonctionne alors que nous sommes exposés quotidiennement à des stimulations audiovisuelles. Ce qui fait la force de notre programme, c’est la répétition. C’est comme un entraînement : lorsque vous répétez un geste dans un sport encore et encore, le jour de la compétition, votre mouvement sera parfait. Or, dans la vie quotidienne, nous sommes certes exposés à des stimulations auditives et visuelles, mais elles ne durent que quelques millisecondes et se répètent de manière aléatoire.

Dans notre programme, les enfants suivent la stimulation audiovisuelle pendant six semaines, tous les deux jours, à raison de 15 minutes par séance, et notamment à la maison. Avec Éric Bouffet, nous avons veillé à ce que cela soit compatible avec leur vie scolaire et extrascolaire.

Pr Natacha Entz-Werlé : Lorsque Michael et Éric m’ont contactée pour ce protocole, j’avoue avoir été immédiatement très intéressée sur le plan neurodéveloppemental. Nous savons que la répétition régulière de certains apprentissages est la clé d’une meilleure assimilation. Cela crée des circuits neurologiques et de nouvelles connexions. C’est un excellent moyen d’atténuer les effets secondaires des cancers du cerveau, et j’ai trouvé cette approche extrêmement prometteuse.

D’autant plus que les enfants sont doublement stimulés, ce qui améliore encore davantage leurs capacités d’apprentissage. Enfin, je suis très confiante dans les concepts de réhabilitation et dans leur capacité à atténuer certaines séquelles. D’autres approches émergent aujourd’hui, notamment en neurocognition, et elles s’annoncent très prometteuses pour limiter les séquelles des enfants et adolescents touchés par un cancer, en particulier lorsqu’il est localisé dans le cerveau.

Pouvez-vous nous décrire le parcours type d’un patient qui participera à l’étude ?

Dr Michael Reber : En premier lieu, ce sont les médecins qui identifient les participants en fonction d’un critère particulier : la présence d’une hémianopsie, si possible stable. Il n’y a pas d’autres critères spécifiques liés au traitement de l’enfant, à une éventuelle chirurgie ou à son statut de rémission. Nous avons choisi de ne pas fixer de critères d’exclusion sur ces points afin d’inclure la plus large représentation possible de patients.

Pr Natacha Entz-Werlé : Oui, tout à fait. Il s’agit d’une population assez hétérogène, et c’est justement ce qui est intéressant. L’un des objectifs est de pouvoir appliquer ce protocole à l’échelle européenne, dans plusieurs centres, avec des langues et des méthodes d’apprentissage différentes. Je trouve cela passionnant, car cela nous permettrait d’intégrer cet outil dans le parcours de soin des futurs patients, à condition que nous démontrions son efficacité. Par exemple, cette thérapie pourrait venir en complément d’autres interventions comme la kinésithérapie ou d’autres soins, et ainsi contribuer à améliorer significativement la qualité de vie des patients au quotidien.

Bien sûr, nous parlons ici de technologies qui ont un coût non négligeable. Il est donc essentiel de bien concevoir le protocole en amont, afin de garantir son applicabilité à un large nombre de patients, dans des contextes variés. Il faut aussi s’assurer que son accès futur sera possible. Il y a donc un double enjeu majeur : clinique et réaliste.

Vous utilisez la réalité virtuelle, une technologie dont l’usage est récréatif. Est-ce que cela motive d’autant plus les patients à participer à l’étude et de ce fait, peut-on s’attendre à des bénéfices encore plus importants ?

Dr Michael Reber : Absolument. Lorsque les patients viennent dans leur centre, une personne leur présente le casque de réalité virtuelle, et ils réalisent plusieurs tests pour se familiariser avec l’outil. Nous en profitons à ce moment-là pour effectuer des mesures afin d’évaluer leurs performances initiales, notamment leur vitesse de base. Cette donnée sert ensuite de référence tout au long des huit semaines d’exercices, ce qui en fait presque une forme de traitement personnalisé. Une fois cette étape terminée, chaque patient repart avec le casque à la maison et l’utilise tous les deux jours. Au laboratoire, nous réglons les paramètres et suivons les performances du patient en temps réel. On observe d’abord une phase d’apprentissage, où la vitesse progresse rapidement, suivie d’une phase de plateau qui dure quelques sessions, avant qu’une nouvelle progression ne reprenne.

À mi-parcours, un test du champ visuel est normalement réalisé en clinique, mais nous travaillons à l’intégrer directement dans le casque afin d’éviter les déplacements, surtout pour des patients ayant des problèmes de vision. L’un de nos objectifs est de rendre ces exercices de réhabilitation accessibles, notamment dans les zones peu desservies ou rurales.

Tout le protocole est rigoureusement contrôlé et la sécurité des patients est surveillée. Nous avons mis en place un questionnaire pour surveiller d’éventuels effets secondaires, comme des nausées, des étourdissements ou des maux de tête. Si cela se produit, il suffit d’arrêter la session, et tout rentre dans l’ordre en une dizaine de minutes.

Il est vrai que nous utilisons des produits initialement dédiés au divertissement, dans lesquels nous intégrons des applications de recherche. Certains appellent cela des Serious Games, qui suscitent une forte adhésion. D’ailleurs, sur les dix enfants inclus à Toronto, aucun n’a refusé de l’utiliser.

Votre étude préliminaire montre des améliorations de la vision pour les patients atteints d’un cancer au cerveau mais qui ne semblent pas complètement durer dans le temps après l’arrêt du protocole. Envisagez-vous d’étendre la durée au-delà des 8 semaines ?

Dr Michael Reber : Oui, c’est une possibilité. Nous avons constaté au cours de l’étude que 4 semaines étaient insuffisantes, c’est pourquoi nous sommes passés à 6 semaines pour obtenir des premiers résultats. Pour ce programme européen, nous avons décidé d’aller jusqu’à 8 semaines, mais nous ne voulons pas non plus que cela devienne trop long, au risque de lasser les patients et de rendre le suivi plus compliqué. Si l’adhésion diminue, l’intérêt d’un programme long s’efface, donc il faut trouver le bon équilibre. L’idée que nous avons serait d’avoir une phase initiale de 8 à peut-être 10 semaines, avec des sessions de 15 à 20 minutes tous les deux jours, puis, six mois plus tard, de réutiliser l’outil pendant une à deux semaines pour maintenir les bénéfices. C’est une piste que nous aimerions tester dans une prochaine étude.

Pouvez-vous nous expliquer, Pr Natacha Entz-Werlé, en quoi ce projet s’inscrit-il dans la recherche déployée par votre centre PEDIACRIEX nord/est, EN-HOPE SMART4CBT ?

Pr Natacha Entz-Werlé : Tout à fait. Notre centre de recherche PEDIACRIEX, dédié aux tumeurs du cerveau pédiatriques, a été labellisé, comme les autres, en novembre 2023. Dès le départ, nous avons voulu intégrer de nouvelles équipes, avec la possibilité d’ouvrir un troisième programme de recherche. Finalement, nous avons choisi d’en déployer deux, dont l’un explore la qualité de vie à travers les sciences humaines et sociales.

Ce qui nous manque clairement, ce sont des projets de réhabilitation avec une forte composante biologique, comme celui de Michael. La réhabilitation est un champ encore très vaste à explorer et à mettre au service des patients atteints d’un cancer au cerveau. Je pense notamment aux techniques de focalisation ou de neuromédiation, qui peuvent être réalisées à domicile grâce à des logiciels adaptés. En tout cas, c’est un axe que nous pouvons développer au sein de notre PEDIACRIEX. Cela nous permettrait de mieux comprendre les séquelles, en particulier celles liées à la radiothérapie, et surtout d’y apporter des solutions adaptées.

Pourquoi soutenir l’innovation dans les cancers pédiatriques ?

Soutenir l’innovation dans les cancers pédiatriques est essentiel pour offrir de nouveaux espoirs aux enfants, adolescents et jeunes adultes touchés par ces maladies rares et agressives. Chaque année, des milliers d’enfants sont diagnostiqués avec un cancer, mais les traitements actuels restent souvent basés sur des protocoles développés pour les adultes, entraînant des effets secondaires lourds et des taux de survie insuffisants. Investir dans la recherche et le développement de thérapies innovantes – comme l’immunothérapie, la médecine personnalisée ou les nanotechnologies – permet d’améliorer les chances de guérison tout en réduisant les séquelles à long terme. En soutenant cette avancée scientifique, nous contribuons à accélérer la mise à disposition de traitements plus efficaces et adaptés aux jeunes patients. Sensibiliser et mobiliser autour de cette cause est donc un enjeu de santé publique majeur, où chaque action compte pour sauver des vies.

Ensemble, continuons d’accélérer la recherche pour vaincre le cancer des enfants ! GO, FIGHT, WIN !

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