BIOMEDE : un espoir contre les Gliomes Infiltrants du Tronc cérébral

Biomede

BIOMEDE est l’essai clinique le plus ambitieux jamais proposé aux enfants atteints d’un gliome infiltrant du tronc cérébral. Cette tumeur cérébrale maligne est très agressive et est localisée dans une zone vitale du tronc cérébral, appelée le pont ou protubérance.

Cette région cérébrale contrôle des fonctions vitales comme l’équilibre, la respiration, la fréquence cardiaque ou la tension artérielle et est également traversée par les nerfs contrôlant la vision, l’audition, la parole, la déglutition et le mouvement. Du fait de sa localisation et du potentiel très invasive de cette tumeur, le traitement par chirurgie est souvent impossible.

Pour répondre au pronostic sombre de cette maladie, Imagine for Margo a décidé de soutenir le Dr. Jacques Grill et son équipe basée à l’Institut Gustave Roussy pour l’essai « BIOMEDE » (1.605.000 € depuis 2014), qui a changé les pratiques cliniques pour ce cancer.

Retour avec le docteur Jacques Grill, pédiatre oncologue de Gustave Roussy et directeur de l’unité INSERM 981, sur cet essai clinique qui a permis notamment, pour la première fois au monde, de sauver les premiers enfants de ce cancer.

Qu’est-ce qu’un gliome infiltrant du tronc cérébral ?  

Jacques Grill : C’est une maladie qui est située dans le tronc cérébral, qui est une sorte de centre d’aiguillage, dans lequel passent toutes les informations qui vont au cerveau et qui descendent du cerveau vers le corps. Quand la maladie se développe, elle va rester longtemps silencieuse jusqu’à ce que les fibres nerveuses qui passent par le tronc cérébral commencent à être comprimées par l’augmentation des cellules tumorales. A ce moment-là, les premiers symptômes surviennent comme des troubles de la motricité oculaire et de la marche. C’est d’ailleurs l’association de ces 2 symptômes qui permet d’orienter le diagnostic vers une tumeur de cet ordre-là.

En quoi cette tumeur est inopérable ?

Jacques Grill : Imaginez que quelqu’un a mis du silicone sur votre tableau électrique. Le lendemain matin, vous vous dîtes qu’il faut libérer son tableau électrique pour qu’il fonctionne à nouveau. Retirer le silicone sans couper les câbles, c’est impossible. Le problème est identique avec les tumeurs du tronc cérébral. Vous avez côte à côte des cellules tumorales et des cellules normales et on ne peut jamais opérer ces lésions car on engendrerait des séquelles neurologiques qui seraient trop graves. Même une biopsie peut provoquer des lésions. C’est pour cela qu’elles sont pratiquées dans des zones moins sensibles, où l’on risque moins de provoquer de séquelles neurologiques.

Ces tumeurs sont d’autant plus inopérables que ces gliomes ont un grand pouvoir à envahir le cerveau.

Jacques Grill : Effectivement, cette maladie a une caractéristique que n’ont pas au même degré  les autres gliomes : les cellules tumorales s’infiltrent et migrent. Nous avons récemment pu montrer que ces cellules possèdent des caractéristiques similaires aux cellules souches du cerveau. Ces cellules, au moment du développement embryonnaire par exemple, sont amenées à se déplacer dans le cerveau pour former les différentes structures cérébrales. Or, ces cellules de gliome infiltrant du tronc cérébral ont cette capacité de déplacement rapide. Elles envoient un pseudopode, qui est une sorte de bras, qui va s’accrocher dans le tissu cérébral sain avoisinant et qui va lui permettre de se tracter. De plus, elles mettent également tout leurs fibres motrices sur l’arrière ce qui lui permet d’avoir une force de poussée. Du coup, ces cellules cancéreuses ont une force de traction et de propulsion combinée, un peu comme un 4×4. C’est justement une de leur grande capacité d’invasion et de migration. La radiothérapie se limite à une partie, généralement l’endroit d’origine de la tumeur dans le pont. Cela indique que les zones infiltrées à distance par les cellules cancéreuses ne seront pas traitées.

Quel était le niveau de connaissances sur les tumeurs infiltrant du tronc cérébral avant de lancer l’essai BIOMEDE ?

Jacques Grill : Quand on a lancé BIOMEDE, nous ignorions que la cause de cette maladie reposait sur une mutation dans un gène, celui de l’histone H3. Ce gène produit une protéine qui sert à empaqueter l’ADN. À cause de cette mutation, la cellule ne va pas arriver à se différencier, c’est-à-dire à devenir un neurone ou un astrocyte. Cette cellule va persister dans son état de cellule souche, avec toutes ses caractéristiques, et notamment sa mobilité et sa résistance aux traitements. Nous ignorions cela lorsque nous avions commencé BIOMEDE. Nous savions seulement qu’il y’avait certains gènes qui étaient présents et qui pouvaient servir de cibles. C’est d’ailleurs comme cela que nous avions choisi les 3 médicaments testés dans l’essai (erlotinib, dasatinib et évérolimus), qui ciblaient justement ces anomalies. Cependant, nous ne savions pas non plus si c’était les meilleures cibles.

Pouvez-vous nous présenter l’essai BIOMEDE, les résultats et ce que nous avons appris ?

Jacques Grill : La chose inédite dans BIOMEDE, et que personne n’avait fait jusqu’alors, était de connaître la biologie de cette tumeur et de pratiquer une biopsie à tous les patients. On a ainsi pu découvrir que cette maladie était loin d’être univoque. Même si toutes les cellules avaient pratiquement la même mutation de l’histone H3, les autres altérations tumorales modifiaient de manière importante leur comportement, ce qui faisait que des enfants présentaient des évolutivités plus ou moins grandes. Certains allaient décéder dans l’année tandis que d’autres pouvaient survivre plus de 3 ans. Cette évolutivité est donc en partie la conséquence de ces altérations que l’on peut définir grâce à ces biopsies systématiques.

Deuxièmement, les 3 médicaments n’ont pas montré une grande différence d’efficacité. Cependant, il y en a un parmi les 3, l’évérolimus, qui est un peu plus efficace que les autres et surtout beaucoup moins toxique. De plus, il présente également l’intérêt d’être administrable en combinaison avec d’autres médicaments. Ceci en fait donc le traitement de référence pour le gliome infiltrant du tronc cérébral pour la suite de cet essai, BIOMEDE 2.

Enfin, l’autre chose que l’on a appris, et pas seulement au cours de BIOMEDE 1, c’est que cette maladie n’est pas seulement localisée dans le tronc cérébral, elle peut également s’étendre sur la ligne médiane du cerveau, par exemple dans le thalamus, ou au niveau de la moelle épinière. Les anomalies retrouvées dans ces tumeurs sont les mêmes et on peut imaginer les traiter dans le même essai. De plus, on a également découvert que de jeunes adultes pouvaient être atteints par cette maladie et l’essai BIOMEDE 1 leur a été également ouvert.

Est-ce que l’on peut dire que, grâce à BIOMEDE 1, l’évérolimus est devenu le traitement de référence de cette maladie dans tous les hôpitaux de France ?

Jacques Grill : L’essai a été présenté cette année à l’ASCO (American Society of Clinical Oncology) en session plénière et sa publication est en cours. L’évérolimus a été retenu par les responsables scientifiques de l’essai BIOMEDE pour être utilisée comme standard pour BIOMEDE 2, parce qu’elle fait un peu mieux et est surtout moins toxique.

Par rapport à la radiothérapie seule, elle augmente la survie médiane des enfants de 3 mois en moyenne. Mais, il y a une grande hétérogénéité. Il y a des patients chez qui l’évérolimus n’a rien fait et d’autres qui aujourd’hui sont proches de la guérison ou peut être guéris.

Combien d’enfants peuvent être considérés comme guéris suite à BIOMEDE 1 ?

Jacques Grill : Il y a 8 enfants qui sont très longs survivants, c’est à dire qui ont une survie supérieure à 3 ans après le diagnostic. Parmi eux, Lucas est l’enfant qui a la survie la plus longue, puisqu’il a été diagnostiqué il y’a plus de 6 ans. Pour tous ces patients, l’évérolimus, en plus des séances de radiothérapie, était le traitement qui leur fallait. On continue à les surveiller tous les trois mois et on cherche également les explications de leur longévité. On sait déjà qu’ils n’ont pas tous les mêmes mutations que Lucas. Nous avons un article sous presse qui analyse justement ces patients.

Pouvez-vous nous présenter le parcours de Lucas, de son diagnostic à sa guérison ?

Jacques Grill : Il s’agit d’un jeune patient de Belgique venu en France pour participer à l’essai BIOMEDE 1.0. Le traitement qui a été tiré au sort pour lui a été l’évérolimus. Sa maladie a considérablement bien répondu au traitement : retour à la normale de sa situation neurologique, disparition des stigmates radiologiques de la tumeur avec normalisation de l’aspect du tronc cérébral en dehors du trajet de la biopsie. Au bout de 5 ans de traitement, que je n’osais arrêter, il m’a avoué qu’il ne prenait plus régulièrement son médicament. On a décidé alors tous ensemble d’arrêter le traitement. C’était il y a un an et tout continue à aller bien depuis. On continue à surveiller son IRM qui reste inchangée. C’est le seul patient avec une tumeur de type gliome infiltrant du tronc cérébral prouvée par la biopsie qui soit en rémission complète. Nous pensons avoir compris pourquoi et nous cherchons maintenant à reproduire ce qui s’est passé naturellement chez Lucas avec des médicaments dans les cellules des autres enfants au laboratoire.

Justement, en quoi la rémission complète de Lucas permettra de mieux soigner les prochains enfants ? 

Jacques Grill : Le fait d’avoir non pas un mais plusieurs patients longs survivants, nous pousse forcément à comprendre pourquoi et nous pouvons le faire grâce aux biopsies qui ont été réalisées lors de BIOMEDE 1.

La configuration des mutations dans la tumeur fait que certains patients ont bien répondu au traitement. Toutefois, pour qu’une cellule cancéreuse survive au traitement qui visent ses cibles, elle doit s’adapter, et elle le fait en modifiant son fonctionnement.

Par conséquent, on peut tuer une cellule tumorale de 2 manières, soit en attaquant la mutation elle-même, quand cela est possible, soit en ciblant la manière dont elle s’adapte. Si vous l’empêchez donc de s’adapter, elle ne survivra pas au traitement et ce, sans jamais toucher à la mutation.

Du coup, grâce à BIOMEDE 1, on a comparé le transcriptome des patients longs survivants (soit l’ensemble des gènes actifs d’une cellule), et nous sommes capables d’identifier un paysage génétique pour lequel la cellule est sensible au traitement. La machine BIOMEDE, comme j’aime à l’appeler, nous permet de faire ces corrélations, ce que des essais de plus petite taille ne pourront jamais faire.

La machine BIOMEDE est toujours en marche, elle est passée à la deuxième étape. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce nouvel essai, qui utilise un médicament anticancéreux de nouvelle classe, l’ONC 201 ?

Jacques Grill : L’ONC 201 a un mécanisme d’action différent et s’attaque justement à l’un de ces mécanismes d’adaptation dont je parlais. Les cellules des gliomes infiltrants du tronc cérébral ont un grand besoin de fabriquer de l’énergie, notamment dans leurs mitochondries.

L’ONC 201 va bloquer cette production en accélérant la dégradation des protéines responsables de la fabrication d’énergie dans les mitochondries.  On ne cible donc pas directement la mutation de l’histone H3, mais un mécanisme d’adaptation de la cellule tumorale. Ce n’est d’ailleurs pas le même mécanisme d’action que l’évérolimus, qui accentue les effets de la radiothérapie.

Enfin, pour résumer, pouvez-vous nous expliquer la force de l’essai BIOMEDE, avec BIOMEDE 1, BIOMEDE 2 et BIOMEDE IA, qui a été notamment co-financé par Imagine for Margo et l’INCa ?

Jacques Grill : Il y a un chiffre très simple. Cet essai est 5 fois plus gros que l’essai le plus important qui avait été réalisé pour cette maladie. Tout ça pour dire que cela permet de faire des choses que les autres essais n’ont pas pu faire. Comparer des groupes de patients, des situations différentes, des âges différents, etc.

BIOMEDE a permis de faire plus que des essais qui ont inclus une trentaine de patients.

Ensuite, le fait de faire des essais randomisés, c’est-à-dire que l’on peut comparer le groupe traité avec celui ayant reçu le traitement standard, permet d’obtenir une réponse claire et sans équivoque sur l’efficacité et la toxicité du traitement. Or, dans cette maladie, personne ne s’était attaché à faire un essai randomisé, possiblement par la complexité de faire cela pour un cancer peu fréquent et parce qu’il n’y avait pas de traitement qui marchait. Là, on a montré que c’était faisable. On a montré que on était capable de suivre ces patients correctement et de faire des biopsies à tout le monde et ainsi comprendre pourquoi tel enfant va répondre à tel traitement.

Si aujourd’hui, je peux dire l’évérolimus est un très bon médicament pour certains types de patients, c’est grâce à la force de cet essai. Aucun industriel ne se serait d’ailleurs lancé dans un essai comme ça. Cet essai s’est fait grâce à l’aide d’organismes comme l’INCa et Imagine for Margo et qui va maintenant, je l’espère, inspirer d’autres équipes.

BIOMEDE est aujourd’hui un espoir pour tous les enfants atteints par un cancer. Il est la preuve que la recherche avance et nous permets de construire un monde avec des enfants sans cancer. Faites un don et continuons, ensemble, de faire avancer la recherche contre les cancers pédiatriques.