La France est pionnière en Europe dans le développement des nouveaux médicaments en oncologie pédiatrique. A titre d’exemples, au sein du réseau ITCC (Innovative Therapies for Children and adolescents with Cancer, 14 pays), la France compte pour 50% des inclusions dans les essais cliniques précoces.
Depuis 2014, des mesures spécifiques ont été mises en place en France dans le cadre du Plan Cancer pour augmenter et faciliter l’accès des enfants et adolescents en échec thérapeutique aux innovations :
- Programme AcSé- ESMART : essai de phase précoce, multi-bras, multi-médicaments pour les jeunes patients ayant une analyse moléculaire profonde de leur tumeur.
- Création de 7 Centres Labellisés de Phase Précoces (CLIP2) adultes – enfants.
Malgré cette forte dynamique d’élargissement du panel des essais de nouveaux médicaments en France, l’offre thérapeutique reste insuffisante et les pédiatres oncologues et hématologues prescrivent des médicaments innovants soit dans le cadre d’un accès compassionnel/précoce (avant appelé ATU, Autorisation Temporaire d’Utilisation) ou hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), pour des médicaments déjà approuvés chez l’adulte. Cependant, nous n’avions, avant SACHA, aucune idée sur le nombre de ces prescriptions, ni sur la toxicité et l’efficacité de ces traitements
SACHA vise à sécuriser l’accès à ces thérapies innovantes hors cadre des essais cliniques. Ce projet est une étude observationnelle française, qui se déploie aujourd’hui à l’international, et qui consiste en une collecte prospective des données de toxicité et d’efficacité de ces thérapies innovantes, prescrites dans le cadre d’un accès compassionnel/précoce.
Résultats de l’essai SACHA France :
- 31 centres de la SFCE (Société Française des Cancers et des leucémies de l’Enfant et de l’adolescent) ont participé à l’étude et ont inclus au moins un patient
- Plus de 650 patients ont été inclus
- Les principaux types de tumeurs enregistrés sont : tumeurs cérébrales (44%), tumeurs solides extra-cérébrales (41%) et leucémies (15%)
- 51 médicaments enregistrés
- Soutien de fondamental de l’ANSM (Agence Nationale de la Sureté du Médicament) depuis la conception de cette étude
- La HAS (Haute Autorité de Santé) a reconnu SACHA comme une source de données mobilisable
- Présentation des résultats de SACHA France au congrès de l’ASCO en 2022 et 2023
- Deux articles ont été publiés :
- Measuring Safety and Outcomes for the Use of Compassionate and Off-Label Therapies for Children, Adolescents, and Young Adults With Cancer in the SACHA-France Study | Oncology | JAMA Network Open | JAMA Network
- Chemo-immunotherapy with dinutuximab beta in patients with relapsed/progressive high-risk neuroblastoma: does chemotherapy backbone matter? – European Journal of Cancer (ejcancer.com)
Afin d’en savoir plus sur ce programme visionnaire, nous sommes partis à la rencontre du Dr. Pablo Berlanga, pédiatre oncologue à l’Institut Gustave Roussy, et responsable de ce beau projet, financé depuis plus de 4 ans par Imagine for Margo.
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer ce qui vous a amené à l’oncopédiatrie ?
Dr. Pablo Berlanga : Depuis mon enfance, j’ai toujours voulu être pédiatre avec notamment une spécialisation en oncologie pédiatrique. Cette discipline m’intéresse fortement depuis mes études de médecine. A cette époque, j’étais bénévole dans une association basée en Espagne qui s’occupait d’enfants atteints par un cancer et qui étaient hospitalisés. D’ailleurs, plus tard, en tant que médecin, il m’est arrivé de suivre certains de ces enfants. J’ai toujours apprécié être à leur contact. De plus, leur cancer a des spécificités et complexités fortement différentes des formes adultes et cela me passionne d’en comprendre les raisons et d’arriver, bien sûr, à mieux soigner cette maladie.
Quels étaient les enjeux et besoins qui vous ont motivés à faire SACHA ?
Dr. Pablo Berlanga : On a beaucoup de chance que la France dispose de l’un des porte folio d’essais cliniques les plus larges en Europe. Cependant, avant 2019, avant que SACHA débute, nous ne collections pas les données des patients traités avec des médicaments expérimentaux en dehors des essais cliniques. On s’est également rendu compte qu’on ne pouvait même pas estimer non plus combien de patients en France recevaient ces nouveaux médicaments. C’est pour cela que le Comité Nouveaux Médicaments de la SFCE a eu l’idée de faire SACHA. Nous voulions sécuriser l’accès à ces traitements innovants, prescrits dans le cadre d’un accès compassionnel/précoce ou hors AMM, lorsque le traitement avait été autorisé chez l’adulte.
Pour atteindre cet objectif, nous devions d’abord trouver comment récolter les données de toxicité et d’efficacité de chaque patient. Puis, nous devions les analyser afin de voir si nous pouvions en tirer des conclusions et rédiger des recommandations médicales, par type de cancer, à destination de tous les pédiatres oncologues.
Quelles ont été les clefs de la réussite de SACHA en France ?
Dr. Pablo Berlanga : SACHA est un projet collaboratif de la SFCE qui répond à un besoin des patients. Ce projet a été clairement identifié comme une priorité par tous les membres de la SFCE et a été développé par le comité « nouveaux médicaments ». Cela a permis de constituer une base solide pour commencer le projet et pour bien communiquer et convaincre de son importance. Nous avons organisé un comité de pilotage avec des médecins coordonnateurs d’OIR (Organisations Hospitalières Interrégionales), qui ont pu embarquer dans ce projet les différents centres et l’équipe de pharmacovigilance de Gustave Roussy, qui joue un rôle fondamental dans SACHA. Dans le comité de pilotage, il y a aussi 2 attachés de recherche clinique qui assurent un remplissage de qualité des informations collectées dans une base de données centralisée et sécurisée.
Depuis 2023, nous avons aussi des représentants des associations/patients dans ce comité de pilotage, Imagine for Margo en l’occurrence. Grâce à cette équipe multidisciplinaire, nous avons pu montrer que le projet fonctionne, ce qui a encore plus motivé les membres de la SFCE à continuer de nous suivre dans cette aventure.
Comment un patient est recruté dans SACHA ?
Dr. Pablo Berlanga : En France, lorsqu’un patient est en rechute, on a la chance de pouvoir lui offrir un profilage moléculaire complet de sa tumeur. Cela est permis grâce à différentes études notamment celles financées par Imagine for Margo comme MappyActs. Le succès de ces projets ont d’ailleurs permis de faire perdurer ces profilages dans le programme national France Génomique 2025.
À la lumière des résultats obtenus, nous, les médecins, discutons en réunion multidisciplinaire nationale des meilleures options thérapeutiques à donner au patient. Parfois, le patient ne peut pas être inclus dans un essai clinique et nous nous rabattons sur un traitement innovant pour lequel on a de forts soupçons d’efficacité. La décision finale est bien sûr toujours prise par le médecin, après discussion avec le patient et sa famille.
Si le traitement est commencé, c’est à ce moment-là que nous parlons de SACHA aux patients et aux familles et s’ils sont d’accord, le médecin peut inclure son patient dans SACHA.
Grâce à SACHA, on sécurise les prescriptions de médicaments innovants. Mais est-ce que SACHA peut aussi collecter des données après l’essai clinique et avant la mise sur le marché du médicament ?
Dr. Pablo Berlanga : Oui, tout à fait. C’est justement le cas de l’essai BEACON Immuno sur le neuroblastome, également co-financé par Imagine for Margo. Dans cet essai, nous avons combiné la chimiothérapie classique avec une immunothérapie (chimio-immunothérapie). L’inclusion des patients s’est terminée en février 2021 et nous avons eu connaissance des premiers résultats en juin 2022, qui avaient été présentés au congrès international de l’ASCO (American Society of Clinical Oncology).
Il s’avère que cette combinaison multiplie les chances par deux d’avoir une réponse favorable chez des patients atteints par un neuroblastome à haut risque ou en rechute. Cette immunothérapie a une AMM en France mais pas pour cette indication. Du coup, le comité Neuroblastome de la SFCE a élaboré des recommandations de traitement par chimio-immunothérapie et nous prescrivons ainsi ce traitement hors AMM.
Nous avons collecté les données dans SACHA ce qui a affiné nos connaissances sur la toxicité et l’efficacité de ce traitements. Ces données, que nous venons d’ailleurs de publier, sont complémentaires de l’étude BEACON Immuno et pourront aussi aider l’industriel, qui produit l’agent d’immunothérapie, à demander une extension de l’indication de son AMM.
Est-ce que SACHA est aussi applicable dans un autre cas ?
Dr. Pablo Berlanga : Effectivement, oui. C’est notamment le cas pour le Larotrectonib. Ce médicament innovant a été validé en 2020 par la HAS, pour son utilisation dans des cancers pédiatriques localisés en dehors du cerveau. Dans les faits, cette autorité a donné un accord de remboursement conditionnel : on peut donner le médicament mais il Il faut collecter les données de vie réelle pour confirmer l’étude initialement réalisée par le Dr. Daniel Orbach (Tag-N-TRAK, également co-financée par Imagine for Margo).
Du coup, afin de satisfaire cette demande de la HAS, ce traitement a été inclus dans SACHA et nous suivons 19 patients depuis 4 ans. La HAS a reconnu SACHA en 2023 comme une source de données mobilisable pour un accès précoce mais aussi pour une évaluation des traitements après leur mise sur le marché.
Est-ce que vous alertez les médecins lorsque vous vous rendez compte qu’un médicament expérimental est trop toxique ou trop peu efficace ?
Dr. Pablo Berlanga : Oui effectivement, l’un des objectifs de SACHA est de rédiger des recommandations thérapeutiques. Les données de vie réelle de chaque patient sont analysées par l’équipe de pharmacovigilance de l’Institut Gustave Roussy. Ils vont répertorier et évaluer toutes les toxicités inattendues et/ou importantes de ces traitements. Ces données sont rapportées et discutées auprès du comité de pilotage de SACHA, qui se réunit tous les deux mois afin de d’évaluer ces données.
Par exemple, nous avons eu le cas d’un patient traité pendant 15 mois avec le Tazemetostat et qui a déclaré un second cancer. C’était la seconde fois que cela arrive chez un enfant avec ce traitement au niveau mondial. Nous avons donc fait remonter l’information dans tous les centres de la SFCE et aux autorités compétentes, ce qui permet d’accroître la vigilance des médecins lorsqu’ils le prescrivent malgré tout, en l’absence de toute autre possibilité thérapeutique.
De plus, l’autre point fort de l’étude est de faire remonter des informations liées à l’efficacité des médicaments. Nous informons nos collègues si aucun effet est observé ou si, à l’inverse, les patients ont bien répondu et que leur maladie évolue positivement.
Peux-tu nous expliquer ce que sont les données de vie réelle ?
Dr. Pablo Berlanga : C’est une très bonne question. Les données de la vie réelle d’un patient consistent en l’ensemble des données cliniques que l’on peut mesurer ou évaluer et qui sont recueillies pendant que celui-ci bénéficie d’un traitement. On peut collecter ces données de façon rétrospective. Mais cela comporte des biais. Dans SACHA, nous avons fait le choix de les colliger de manière prospective, afin d’assurer une collecte de donnés adéquate.
SACHA a permis de recueillir des données sur 650 patients à la fin de 2023. Avez-vous pu identifier des médicaments efficaces pas encore évalués dans un essai clinique ?
Dr. Pablo Berlanga : C’est une très bonne question, car c’est très important de dire que SACHA n’est pas un essai clinique, mais répond à de vrais besoins. Par exemple, nous avons observé que les médicaments les plus prescrits sont des inhibiteurs des voies MEK et BRAF, qui ont montré des efficacités dans des essais cliniques menés entre 2017 et 2020. A présent que ces protocoles sont fermés, les patients bénéficient de ces médicaments grâce à un accès compassionnel/précoce ou hors AMM.
Nous collectons les données dans SACHA pour renforcer celles obtenues dans les essais cliniques. De plus, nous avons également remarqué dans SACHA, qu’un patient traité avec un autre inhibiteur (ME) avait répondu positivement, mais de façon transitoire. Ainsi, grâce à ces données, nous avons pu développer un nouveau bras dans l’essai AcSé-eSMART, où ce médicament est testé en combinaison avec une autre molécule.
La HAS a reconnu SACHA comme une source de données mobilisable et est également soutenu par l’ANSM. Quelles conséquences positives cela a pour les patients ?
Dr. Pablo Berlanga : L’objectif de la HAS est de s’assurer des bénéfices d’un médicament pour la société et souhaite donc collecter les données d’efficacité et de toxicité en temps réel, en particulier pour les médicaments innovants. Nous collaborons avec la HAS dans ce but. Par exemple, nous avons confirmé la très forte efficacité et la faible toxicité du Larotrectinib. La HAS a ainsi pu confirmer en 2023 son avis initial donné en 2020 et prolonger l’AMM conditionnelle donnée pour ce médicament innovant.
Nous sommes également soutenus par l’ANSM, et ce, depuis le départ, en 2019. L’ANSM a été un soutien fondamental pour SACHA, d’autant plus que cette agence est responsable des accès compassionnels des médicaments. Depuis 2021, nous avons une collaboration encore plus étroite avec l’ANSM. Nous partageons beaucoup plus d’informations et nous leur rendons un rapport annuel comprenant les médicaments qu’ils ont autorisés. L’ANSM recommande donc activement l’inclusion des patients dans SACHA.
Nous avons donc une relation donnant-donnant avec cet organisme et les résultats de notre collaboration ont été présentés à l’ASCO 2023.
A présent que SACHA a été publié et est reconnu par l’ANSM et la HAS, est-ce que cette méthode sera appliquée à d’autres pathologies, comme les maladies rares ?
Dr. Pablo Berlanga : Pour ce qui est de SACHA, la méthode est bien évidemment extrapolable à d’autres aires thérapeutiques, mais il faudrait à mon avis commencer de la même façon, à savoir par constituer un groupe d’experts qui a la capacité de fédérer tous les acteurs. Nous avons la chance d’avoir en France, pour les cancers pédiatriques, une structuration incroyable : notre chère SFCE et ses 31 centres pédiatriques.
Cette structuration est une vraie chance pour les patients et a été indispensable pour construire SACHA. La capacité que nous avons à travailler ensemble, c’est quelque chose d’unique au niveau mondial et explique surement pourquoi la France est leader dans l’accès à l’innovation thérapeutique dans les cancers de l’enfant.
Maintenant vous développez SACHA à l’international. Est-ce que vous allez procéder de la même façon, via des centres locaux qui feront remonter les données de vie réelle des patients ?
Dr. Pablo Berlanga : Pour étendre SACHA à l’international, nous travaillons avec les differents pays qui constituent le réseau ITCC (Innovative Therapies for Children and adolescents with Cancer). Chaque pays adapte la méthode SACHA à sa réglementation. Ensemble, nous collectons les mêmes types de données dans les mêmes bases de données, avec la même méthodologie.
Imagine for Margo est très impliquée dans le projet SACHA. Outre le financement apporté, nous participons au comité de pilotage du projet depuis ses débuts. Qu’apporte les associations comme Imagine for Margo en oncologie pédiatrique ?
Dr. Pablo Berlanga : Notre collaboration est fondamentale parce que, grâce à vous, on a pu construire SACHA. Sans votre financement et votre soutien, nous n’aurions jamais pu faire quelque chose d’aussi innovant. D’autre part, je trouve que l’autre vraie valeur ajoutée d’Imagine for Margo, c’est aussi votre capacité à nous faire réfléchir et à enrichir nos réflexions.
Avec l’équipe de pilotage de SACHA, j’échange sur des aspects médicaux, scientifiques ou sur des données de pharmacovigilance. Avec vous, nos discussions et vos réflexions bouleversent notre vision de la médecine et nous permettent d’être encore plus focalisés sur la réalité et les besoins des patients.
Enfin, SACHA a été publié afin d’être partagé au sein du milieu académique, mais il faut aussi que ce projet bénéficie directement aux patients. Grâce à vous et votre soutien, nos données et nos projets sont perçus comme plus convaincants et plus impactants par les autorités de santé.
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